Rechercher dans ce blog

vendredi 8 juin 2012

Annus Horribilis

Une saison calamiteuse pour beaucoup avec un développement sans précédent de la pourriture bactérienne


Quand les éléments s'en mèlent !

La lecture du forum Iris et Bulbeuse est un peu déprimante cette année. Beaucoup d'amateurs se plaignent d'une saison marquée par les dégâts dus au gel, à la pluie, à la grèle. Retard de floraison, feuilles tachées, tiges coupées ou rabattues par le vent, et par dessus tout, pourriture bactérienne en pleine expansion. Nos amis du Gers et du Tarn et Garonne ont été épargnés. Tant mieux.
Les professionnels ne semblent pas non plus avoir été laissés à l'écart de ces tourments, ce qui justifie le titre de ce jour.
Dans mon jardin, les ennuis ont commencé assez tôt, conséquence des deux périodes de gel en mars et à la mi avril : les iris en pot ont pour la plupart péri. Beaucoup d'iris qui avaient commencé à "démarrer" leur végétation, ont été, si l'on peut dire "cueillis  à froid" et une première pourriture s'est installée qu'il a fallu éradiquer. Dès avril, la pourriture bactérienne a commencé à se manifester dans quelques endroits, puis s'est étendue, et avec le temps, lui aussi pourri, de ces derniers jours, a connu un regain de vigueur.
Aussi faut il travailler sans relâche dans le jardin (éliminer, soigner, déplacer), ce qui explique le retard pris par cette chronique.

La météo de cet hiver et de ce printemps est le plus souvent invoquée pour expliquer tous les désagréments enregistrés. Et elle y est sans aucun doute pour quelque chose.

Mais la météo ne saurait tout expliquer à elle seule !

Un constat fait par plusieurs amateurs pose en effet question : alors que certaines plate-bandes étaient infectées, d'autres restaient indemnes de toute attaque de pourriture.
Même remarque chez moi. J'essaie de comprendre.
J'ai dans mon jardin, deux sortes d'emplacements pour mes iris :
               -un emplacement que je réserve aux nouveautés acquises depuis 2010 et qui fait l'objet de tous les soins, ne serait-ce que parce qu'on attend toujours avec impatience la floraison des petits nouveaux que l'on a admirés sur catalogue, mais aussi, le plus souvent en raison de leur prix, élévé pour les plus récents
               -des emplacements moins surveillés où se trouvent des variétés plus anciennes. Ainsi, une plate bande à l'extérieur, en bordure de haie (avec des variétés très classiques, de celles qu'on peut me faucher [si, si , ça arrive !] sans qu'il y ait drame.

Or, les pourritures se produisent à 95 % presque essentiellement dans l'emplacement le plus soigné. Comment l'expliquer ?

Plusieurs explications me viennent à l'esprit :

1-La possibilité que la bactérie ait voyagé avec les iris. Le responsable serait-il le "fournisseur" (marchand ou ami) ?
2-Les plate-bandes préparées pour recevoir les nouveautés auraient fait l'objet d'un excès de "soin" : trop d'engrais trop frais, pas assez absorbé par le sol.
3-Un déséquilibre du sol, trop acide

•La première possibilité se heurte apparemment à une constatation : en 2011, il y a eu peu de pourriture et c'est seulement en 2012 que les iris plantés cette année-là ont développé la pourriture bactérienne. Peut-être le manque d'eau caractéristique de l'an dernier (20 mm d'eau de février à Juillet) a-t-il empêché le réveil et le développement de ces bactéries restées "dormantes".
La possibilité de persistance des bactéries dans un envoi est une réalité, de même que l'existence de foyers de pouriture bactérienne chez les fournisseurs. Ceci dit, les profesionnels connaissent les précautions à prendre, et en général, aux Etats-Unis, En Europe comme en France ils laissent sécher les rhizomes au soleil, après les avoir si besoin est, trempés dans un bain javellisé.
Notre ami Lawrence Ransom m'explique son mode opératoire :

"Depuis une dizaine d’années, à la préparation d’une commande, après lavage des rhizomes pour ôter la terre, je les passe, comme chez Suttons, 15 minutes dans un bain de trempage d’environ 10% d’eau de javel. Cela me rassure. Fini les bains de produits fongiques qui ne servent à rien, comme vous le savez, contre les bactéries. Puis quelques heures en plein soleil sur des claies de grillage."


•La deuxième possibilité renvoie aux conditions d'apparition de la maladie et de développement de la bactérie.
Ce que l'on sait d'Erwinia caratovora on le doit surtout aux travaux effectués à propos des cultures alimentaires touchées par cette peste (carotte, betterave, pomme de terre, etc…)

Voici ce que disent des scientifiques ayant étudié le problème sur les tubercules de pomme de terre :

 Aussitôt que les conditions sont favorables, les bactéries se multiplient de façon explosive. Ils produisent maintenant assez d’enzymes (pectinase) pour dissoudre les parois cellulaires des tubercules et des pousses, et la maladie se déclare. C'est souvent le cas lors de conditions humides et d’anaérobies. Un manque d'oxygène abaisse la capacité défensive du végétal. Les conditions sont propices lors d’une battance superficielle des sols (p. ex. après de violents orages), avec la présence d’eaux de retenue et lors de compactage. 
Dans le sol, plus les conditions sont humides, plus les bactéries sont mobiles. L'humidité et un manque d’oxygène ont aussi pour conséquence que la couche subéreuse des lenticelles gonfle sur le tubercule et devient perméable. De cette façon, les bactéries peuvent pénétrer plus profondément dans la peau des tubercules. 

En tout état de cause, un sol trop riche en azote, mal drainé, et trop finement émietté (les bactéries se développent mal sur des parois lisses) serait une condition favorable au développement de la bactérie. Ceci expliquerait peut-être que les dégâts se rencontrent plus fréquemment dans les sols trop amendés. J'ai émis précedemment l'hypothèse que la concurrence d'adventice pouvait limiter les dégats, celles-ci consommant prioritairement l'azote du sol, mais cela reste à vérifier…

•la troisième possibilité est plus hasardeuse, car ce que redoutent les bactéries, c'est un sol très acide  : les conditions idéales de prolifération se situeraient autour d'un PH neutre (5,5 / 7,5). Mais il est possible qu'un déséquilibre du sol favorise sa prolifération.

Comment lutter efficacement ?

Sans vouloir désespérer qui que ce soit, il n'existe actuellement aucune méthode chimique, reconnue et autorisée capable de guérir les exploitations attaquées par la bactérie. Les méthodes résultent principalement de la prévention et de la rotation des cultures

1- Considérer tout rhizome arrivant dans le jardin comme potentiellement porteur de la bactérie.

Donc, plonger les rhizomes dans un bain d'eau javelisée à 10% pendant 20 minutes, puis laisser ressuyer au soleil pendant un jour ou deux.
Planter les nouveaux venus de façon espacée (environ 30 à 40 cm et avec un écartement d'un mètre entre les rangs) sur un sol propre n'ayant pas porté d'iris depuis environ 5 ans.
J'adopte, pour ma part, le principe de la "quarantaine" : tout  iris nouveau est planté dans un carré particulier pour observation pendant deux ans.

2- Eviter autant que faire se peut la monoculture et  faire "tourner" les cultures

En effet, la monoculture favorise la prolifération des agents pathogènes. Une rotation des cultures tous les 4 ans après division est une bonne solution.

3-Eviter l'excès d'engrais

Principalement les engrais chimiques et plus particulièrement l'engrais azoté qui favoriserait la prolifération d'Erwinia.

4-Eliminer systématiquement les feuilles abimées et éviter de blesser les rhizomes


Par les blessures du rhizomes, les vers taupins ou les larves de toute sorte peuvent pénétrer et constituer des voies d'accès pour la bactérie


5-Appliquer des traitements préventifs ?


- à l'automne on préconise la pulvérisation de produits à base d'Hydroxyde de Cuivre (1,6 kg/ha), contre les bactérioses. Je n'ai pas essayé.
-les jardiniers bios préconisent l'utilisation de tisane d'ortie et de décoction de prèle. Mais peu d'entre eux peuvent confirmer une réelle action positive de ces pratiques.
Les expérimentations réalisées dans le cadre de VETAB n'ont pas permis de confirmer une action protectrice significative de ces diverses alternatives dans des conditions de forte pression de maladie. Par ailleurs, des tests de lessivage ont montré que ces produits étaient tous très sensibles au lessivage par les pluies. 


6-Qu'en est-il des traitements curatifs ?


L'utilisation d'antibiotiques.
La streptomycine a été utilisée pour combattre une autre bactérie du genre erwinia : E. amylovora responsable du feu bactérien, avec un taux de réussite de 90%. Mais son usage, autorisé sous certaines conditions en Suisse, est interdit dans l'U.E.
Aux Etats-Unis, des préconisations indiquaient l'utilisation d'une pommade antibiotique à base de comprimés de tetracycline écrasés dans de la glycérine et appliquée sur les parties curées. (En fait toute pommade antibiotique capable de traiter les bactéries aérobies a le même résultat (auréomycine, tetracycline, streptomycine, etc). En France on proscrit l'usage d'antibiotiques dans l'agriculture. 
La désinfection des plants et des sols
Le sauvetage des plants infectés suppose qu'ils soient arrachés, jetés si c'est irrécupérable (et brulés) ou curés, traités avec une solution javellisée ou du permanganate puis exposés au soleil, avant d'être replantés sans un endroit sain. Le sol infecté sera arrosé d'une solution javellisée et ne sera pas réutilisé avant deux ou trois ans.
Ne pas oublier que la bactérie est résistante. Les bactéries sont apparues bien avant l'homme et elles ont utilisé toutes les "ruses" que la nature autorise pour se perpétuer. Je pense que lorsqu'on a soigné un iris, il ne faut pas relâcher la vigilance. Mon expérience de cet hiver m'a rendu méfiant. J'avais eu quelques atteintes de pourriture sur des plants reçus de l'étranger. J'ai soigné les malades, installés dans des pots et j'ai même utilisé, pour les plus coûteux d'entre-eux (mais hors sol) une pommade antibiotique (auréomycine) sur les plaies. Les iris semblaient guéris, avaient même recommencé à pousser. Le gel leur a été fatal et de façon curieuse. On peut comprendre que les plantes en pot soient plus sensibles au gel et puissent en mourir. Mais cela s'est accompagné d'une reprise de la pourriture bactérienne décelable à l'odeur…


Trouver des solutions d'avenir ?


Bien sûr, la solution la plus satisfaisante, serait de trouver des variétés résistantes à la bactérie. Cela a été tenté pour les cultures légumières et arbustives, mais cela reste à faire pour notre plante préférée. D'autant que s'il est assez simple d'améliorer une variété de poirier pour la rendre résistante au feu bactérien (je pense aux Passe Crassanes), il en va tout autrement pour les centaines de cultivars d'iris introduits chaque année.
On a tenté le séquençage du génome de souches d'Erwinia amylovora. Je n'ai pas trouvé trace d'études semblables pour E. Carotovora.
Il faudra sans doute un jour se pencher sérieusement sur cette question.




On terminera ainsi cette triste revue. La prochaine publication (très proche) portera, de façon plus réconfortante et illustrée sur les floraisons 2012. 

13 commentaires:

  1. Une question : "en France, on proscrit l'usage d'antibiotiques en agriculture", les jardins privés n'étant pas "agricoles", en est-il fait mention quelque part ?

    RépondreSupprimer
  2. une remarque cette fois : "toute pommade antibiotique a le même effet" : sûrement pas !!!! Erwinia étant un gram -, les antibiotiques qui ne font que les gram + sont inutiles....
    et une autre question : "ne pas oublier que la bactérie est résistante", à quoi ? (à l'eau de javel diluée? LOL), je n'ai trouvé aucun renseignement détaillé, du moins en Français, sur cette bactérie...
    Autre idée qui me vient: il semble interdit de mettre des antibiotiques sur le sol (à préciser pour les sols privés non agricoles), mais il n'est pas interdit de faire tremper son rhizome curé dans un pot d'antibiotique dilué, puis de le faire sécher au soleil et de le replanter en pot où ailleurs... si ?
    Si ce n'est écrit nul part, ce n'est donc pas interdit.... et ça marche au poil!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Raccourci malheureux ! lire "toute pommade antibiotique efficace contre les gram -" (certains antibiotiques comme la steptomycine agissent contre les gram - et certains gram +.
      J'ai mentionné la tétracycline, rapportée comme efficace, sur les gram-
      Mais l'utilisation d'antibiotiques qui ne peut avoir d'effet direct sur l'homme, dans ce cas [à la différence des pommes et des poires, on ne consomme pas les iris, du moins pas encore] peut néanmoins créer des phénomènes d'antibiorésistance qui pourraient à terme être dangereux pour la catégorie de végétaux concernés. Reste évidemment la question du mode d'administration pour une efficacité maximale.
      A mon avis, si on choisit d'utiliser les antibiotiques et à condition qu'on puisse se les procurer, il faut le faire sur des plantes hors-sol qu'on reéinstallera en pot jusqu'à complète guérison et avant réintroduction dans le milieu naturel

      Supprimer
    2. l'intérêt de faire tremper dans une solution, c'est que le rhizome entier est totalement débarrassé du germe contrairement à la pommade qui ne protège que la plaie, d'où moins de risques de récidives.... c'est ce que j'ai constaté : aucune récidive sur les rhizomes traités ainsi, puis mis en pots après séchage, ils sont tous sauvés. De plus la pommade entretient l'humidité sur le site alors que le trempage est suivi du séchage complet.... j'en suis seulement aux "essais", mais ça me parait concluant (j'ai fait tremper toute une nuit). Pas de rechutes malgré le fait que les pots aient encore subi les pluies suivantes et toutes les feuilles ont bien grandi. Pour plus de renseignements, me contacter par mail....
      attention: la tétracycline n'est pas bactéricide mais bactériostatique ce qui signifie qu'elle ne tue pas le germe mais l'empêche de se multiplier, c'est aux défenses immunitaires du "sujet" d'éliminer "l'hôte indésirable"... euh... les iris, ça a des défenses immunitaires ? j'avoue que je n'en ai aucune idée!

      Supprimer
    3. La tetracycline a été essayée avec succès aux E.U. ainsi que le rapportait un article de l'AIS dans les années 1980. Je l'ai moi-même essayée à cette époque avec d'excellents résultats. Mais c'était assez contraignant : il fallait écraser un comprimé de tetracycline dans de la glycérine avant d'appliquer le mélange sur la plaie. Aucun des iris traités n'avait rechuté. Je pense qu'en complément du traitement par trempage (dans du permanganate) c'était assez efficace.
      Je constate -j'y reviendrai- que le trempage dans une solution javellisée ne parvient pas toujours à stopper la progression de la maladie. Mais je ne trempe pas les rhizomes toute une nuit (seulement 20')

      Supprimer
    4. Toute une nuit dans de l'eau de javel, n'y aurait-il pas un risque pour le rhizome (brûlure)? Si ce germe est assez résistant d'une manière globale, il est probable que la javel diluée l'assomme juste un peu et qu'il reparte plus tard.... tandis que toute une nuit dans l'antibiotique approprié, on peut espérer qu'il est détruit...ça reste à confirmer mais j'ai bon espoir...

      Supprimer
  3. Pour avoir été confronté très souvent à la pourriture douce, je lutte contre celle-ci de deux façons qui m'ont souvent donné de bons résultats : je traite préventivement et curativement les iris avec un antifongique systémique, le même que celui que j'utilise pour mes rosiers. J'arrose abondamment le feuillage et les tubercules apparents. Je sais, un produit antifongique n'a pas d'action sur une bactérie. Pourtant ce traitement a souvent arrêté la propagation de la maladie, c'est ma constatation. Autre méthode de lutte : la plantation auprès des plants d'iris de pieds de thym. Le thym semble stériliser le sol alentour. Les iris profitent de cette protection chimique naturelle. D'autres plantes ont peut-être le même pouvoir. A étudier...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les expériences qui réussissent sont bonnes à étudier. Plusieurs iridophiles ont également expérimenté une méthode originale à base de cannelle : 3 grosses cuillérées à soupe de cannelle en poudre, 10 cl d'acétone et un litre d'eau. On mélange et on verse dans un arrosoir de 10 l qu'on remplit d'eau. On arrose les touffes atteintes après avoir éliminé les parties pourries et ça arrête la pourriture. On peut aussi tremper préventivement les rhizomes avant plantation.

      Supprimer
  4. Merci pour cette recette. Je la testerai si l'occasion a le malheur de se présenter. :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous trouverez dans le numéro 163 (décembre 2013) de la revue de la SFIB 'Iris et Bulbeuses', un article assez complet sur la pourriture bactérienne.
      Il fait le point sur les connaissances concernant Pectobacterium carotovorum et les moyens utilisés pour combattre la bactérie

      Supprimer
  5. Merci pour cette information. Je ne suis pas adhérent à la SFIB. J'ignore comment me procurer ce numéro...

    RépondreSupprimer
  6. Vous pouvez faire la demande auprès du responsable de la revue (Jean Claude Jacob) qui vous expliquera la marche à suivre :
    http://www.iris-bulbeuses.org/sfib/ca.htm

    RépondreSupprimer
  7. Merci pour ces précisions ; je vais le contacter. :)

    RépondreSupprimer